crh ; oublier les principes pour mieux arriver à ses fins.

three weeks ago.

Elle m'a lancé le vase rempli d'eau qui s'est écrasé sur le sol de l'appartement avec fracas et c'est de justesse que j'ai évité de me retrouver avec un vase de cristal entre les deux yeux. Elle a hurlé que j'étais une ordure au moins six fois depuis que je lui ai expliqué ce qui n'allait pas. Je savais pourtant que tout ça tournerait mal à la seconde où j'ai franchi la porte et que j'ai déposé ma chemise Swiss Army contre le meuble de l'entrée. Quand elle a décidé qu'elle avait envie de prendre un bain aussi, je savais que je ne devrais pas être là dans son appartement. Tout ça était une énorme erreur mais je me devais de lui expliquer qu'entre nous, ça ne marcherait pas.
« J'ai pas le droit de m'expliquer? »
« Expliquer quoi? Que j'suis pas assez bien pour sortir avec toi? »Je tente de m'approcher, elle me pousse, insultée. Je suis le pire des cons à ses yeux mais elle ne comprend simplement pas les enjeux quand on est moi. Je peux pas risquer de tout faire foirer pour une étudiante en arts qui travaille à temps partiel dans un bistro en tant que serveuse.
« C'est pas contre toi, écoute moi s'il te plaît. On devrait attendre un peu... Se fréquenter mais ne pas en parler quoi... »
« Tu te fiches de moi ou quoi? Christophe, je suis pas un élément de ta vie, je suis ta petite amie. »Je soupire découragé, parce qu'elle ne comprend pas où je veux en venir. C'est fréquent entre elle et moi. Elle ne comprend pas que je ne peux pas compromettre une carrière exceptionnelle, toute une vie de travail simplement pour elle.
« Je pense qu'on devrait prendre notre temps... »
« Ce sont les filles qui disent ça à l'habitude. »Elle me pointe la porte, et je l'entends éclater en sanglots alors que je m'apprête à descendre les marches. Je savais que ça se passerait comme ça, tout simplement parce qu'elle ne comprendrait pas que j'ai un avenir et que je sais qu'elle et moi, c'est que du temporaire.

six hours later.

Je viens juste de recevoir la lettre datée d'il y a trois jours adressée à moi. Le nom de la personne qui m'envoie la lettre m'est familier mais il me faut lire le message pour comprendre de quoi il s'agit.
« Christophe. Il y a cinq ans, on s'est rencontrés dans cette soirée chez toi. Tu avais dix-sept ans, j'en avais vingt-quatre. Je détestais les soirées trop mondaines et toi, tu les adorais. On n'avait pas beaucoup de points communs mais tu étais adorable, j'ai tout de suite été séduite. Quand nous avons passé la nuit ensemble, ni toi, ni moi ne pensions aux conséquences et c'est d'un commun accord que l'on a décidé d'oublier cet incident. Seulement, Christophe, il y a quelque chose que je ne t'ai jamais dit. Je suis tombée enceinte cette nuit-là, et neuf mois plus tard, Joany est née. Je ne l'ai jamais dit à personne, mais j'ai pensé qu'il te revenait le droit d'être averti que tu avais une fille.
Très amicalement,
Juliette Belleville »
Je ne sais pas comment réagir à cette lettre, datée d'il y a trois jours seulement. Trois jours, quelle drôle de coincidence puisque Juliette est morte il y a de cela quelques jours, d'après les journeaux dans un vilain accident de voiture. Je trouve les liens un peu trop suspects, mais je préfère garder pour moi le fait que le hasard soit bien curieux parce que de toute façon, je viens de me heurter à autre chose. Je suis le seul parent vivant de la fillette et d'ailleurs des documents joignent la lettre de Juliette. Ce sont des informations et règlements. Selon la loi, je devrais prendre la charge de Joany.

5 years ago.

Elle me regarde et je lui souris avant de lui tendre poliment le verre de vin rouge. Elle glousse, amusée de mon attitude. Je me contente de rire doucement à mon tour, poliment, avant de m'éloigner d'elle. Je connais à peine Juliette, je ne sais rien d'elle sauf qu'elle a de longs cheveux blonds très pâles et bouclés ainsi que des courbes magnifiques. Je vais discuter politique avec mon père et quelques hommes importants jusqu'à ce qu'elle revienne me voir, me perturber à nouveau en quelque sorte. Elle passe sa main sur mon épaule et je me retourne.
« On peut discuter un moment? » Ses yeux couleur noisette croisent les miens et je suis consterné mais je m'efforce de répondre, en un souffle.
« Oui, bien sûr. »
On n'a pas réellement parlé, pour tout dire, je l'ai simplement emmenée dans ma chambre. C'est cette nuit-là que Juliette est tombée enceinte, parce que sans le savoir le préservatif a dû briser, parce que je ne pouvais pas me permettre de ne pas me protéger. Je me suis toujours protégé, en fait. Elle était plus âgée que moi, mais elle ne croyait pas à mon âge. J'avais dix-sept ans, elle en avait vingt-quatre. Elle avait l'air beaucoup plus jeune pourtant, et moi j'avais l'air plus âgé. On s'est quittés le lendemain matin, très tôt. Elle devait prendre l'avion pour se rendre à Saint-Barthélémy, pour une semaine de vacances. On ne s'est jamais reparlé et je n'ai pas été déçu, en fait je l'avais oubliée jusqu'à récemment.

four days ago.

Je savais qu'elle ne pourrait pas m'en vouloir longtemps, parce que généralement elle ne m'en veut jamais longtemps. Elle prétend me détester pour l'instant, mais je sais qu'elle va s'en remettre parce qu'elle ne résistera pas à la gueule d'ange de Joany. En fait elle ne connait pas encore l'existance de Joany, mais je suis persuadée qu'elle va l'adorer. Pour l'instant, elle est appuyée sur moi, dans mon lit à moitié défait. Elle me raconte des histoires comme toujours et me parle de trucs qu'elle aime bien. Elle sait que je n'écoute pas, probablement même qu'elle préfère ça comme ça. Elle finit par se taire et m'embrasse sur la joue, et je la regarde se relever pour enfiler ma chemise, comme elle a pris l'habitude de le faire. Je pourrais énumérer toutes les choses qu'elle a pris l'habitude de faire en ma présence comme si de cette façon elle avait une routine avec moi et pouvait me mettre en tête que nous avons une véritable relation solide.
« Christophe, tu penses à quoi là? »
Je ne réponds pas et elle soupire, s'assoit sur le lit. Quelqu'un frappe à la porte et je devine à la force moindre des coups qu'il s'agit de ma fille.
« Tu peux entrer, c'est ouvert. »Elle me regarde d'un air interloqué alors que Joany entre dans la chambre pour se jeter sur le lit comme elle le fait depuis son arrivée ici. Je ne sais pas trop comment agir avec elle, mais ma fille pose ses grands yeux bleus sur la jeune femme qui me tient compagnie et celle-ci me regarde, l'air de ne pas trop comprendre.
« Papa, c'est une amie? »
« Oui, on peut dire ça comme ça. »
« Christophe, c'est ta... »
« Fille. Effectivement. Joany, tu peux aller regarder la télévision un instant? Je dois discuter avec mon amie. »
Joany s'éloigne et finalement, les choses sont un peu plus complexes que je prévoyais, parce qu'elle ne me demande même pas d'explications et se rhabille avant de claquer la porte furieusement. Elle ne retourne plus mes appels depuis ce temps, mais il faut dire que je n'ai pas non plus eu envie de l'appeler.