Lou A. Camus ♦♦ Fiche terminée

« Il y a probablement une façon bien tournée de commencer une histoire comme celle-là, une accroche habile pour attirer les gogos plus sûrement que le meilleur bonneteur de la ville. Mais la vérité, c’est que je n’ai pas la langue assez bien pendue ni l’esprit assez vif pour ce genre de jeu. Les mots n’ont pas joué un grand rôle dans ma vie, et si, avec les années, j’ai rencontré un grand nombre de ceux qui passent pour les grands penseurs et les beaux parleurs de notre époque, je suis resté ce qu’on appelle un homme simple. Et une façon simple de commencer me conviendra parfaitement ».


Cher Inconnu,

Tu ne peux t'imaginer à quel point je ne sens perdue ce soir. Enfin, peut-être que je me trompe. Peut-être te dis-tu: "Ciel, que cette fille devait être paumée et seule pour en arriver à écrire sa vie sur un bout de papier et le jeter dans une bouteille à la mer". La réalité est que, je ne connais personne ici. Enfin si, mais j'ignore où elles sont. J'ignore même où je suis. De tout manière, je ne pourrais pas confier à ces personnes ce que je m'apprête à te confier, cher Inconnu...

Je suis née il y a de cela 23 hivers. C'était un 16 décembre, pour être plus précise; le même jour que Jane Austen, une auteur que j'aime bien. C'était dans un petit village au nord de la France. En fait, c'est si petit qu'il est facile d'en oublier le nom. Plusieurs s'ennuieraient à vivre là-bas, mais pas moi. La vérité, c'est que j'ai toujours eu horreur des endroits surpeuplés. Je ne suis pas à l'aise au milieu d'une foule. Je tiens cela de ma mère, j'imagine. On me dit souvent que je lui ressemble. Ma mère est la fleuriste du village, mais plusieurs personnes des villages voisins viennent acheter ses fleurs. C'est qu'elle a un goût pour la beauté et une patience qui sont rares. Elle s'occupe de chacune de ses fleurs comme s'il s'agissait de ses propres enfants. Enfin, c'est probablement un peu comme cela qu'elle les considère... Mon père, quant à lui, est un homme d'affaire, un entrepreneur. Sa véritable passion... les voitures. J'avais six ans lorsque le garage dont il était propriétaire a fait faillite. Je n'avais que six ans et pourtant, je me souviens de cette période sombre comme s'il s'agissait d'hier. À partir de ce jour-là, plus rien n'avait été pareil. Nous avions dû vendre la maison, puisqu'il nous était désormais impossible d'y vivre avec les dettes de mon père et le maigre revenu de ma mère. Nous nous étions installés chez mes grands-parents qui habitaient le même village que nous. Ce n'était que temporaire, disaient mes parents. Tout allait bientôt rentrer dans l'ordre disaient-ils. Et pourtant, une année entière avait passée et mon père, las d'attendre une opportunité qui ne se présenterait jamais à lui dans un aussi petit village, nous avait quittées ma mère et moi pour aller vivre à Paris. Selon la dernière lettre que j'avais reçue de lui, l'unique qu'il m'envoyait chaque année pour ma fête, il y vivait toujours et les affaires étaient bonnes pour lui.

De notre côté, ma mère et moi vivions toujours chez mes grands-parents. La différence était que, maintenant, nous ne prétendions plus que cela était temporaire. Inutile de dire que nous ne roulions pas sur l'or, néanmoins, nous avions suffisamment de revenu pour subvenir à nos besoins. Après mon BAC, j'avais décidé de prendre une pause des études. Pas que je n'avais pas ce qu'il fallait pour entreprendre des études supérieures, mais je n'avais aucune envie de quitter mon paisible village. Je m'étais donc trouvée un emploi au petit restaurant du village, puis j'aidais ma mère avec sa boutique. Le reste de mon temps, je le passais avec Romain qui (avant de mettre un terme à nos sept années de relation amoureuse en s'envolant avec une jeune Parisienne) était l'image parfaite de mon homme idéal.

Inutile d'essayer de le cacher, cela m'avait complètement démoli et rien de ce qu'on avait pu me dire pour me consoler n'était arrivé à refermer l'énorme trou qui s'était creusé dans ma poitrine lorsque Romain m'avait quitté. Mais le pire dans tout cela était que, malgré tout le mal qu'il m'avait fait et même si on m'avait répété cent fois que je n'y étais pour rien, je me considérais comme la vraie coupable dans toute cette histoire. Comment avais-je pu croire ne serait-ce qu'un seul instant que notre histoire durerait pour toujours? D'ailleurs, comment un gars comme lui avait-il pu s'intéresser à une fille comme moi? Et puis, si je ne m'étais pas empêchée de faire ce voyage à Paris avec lui (à cause de ma peur ridicule des grandes villes), tout cela ne serait pas arrivé.

Au bout d'un temps, j'en ai eu assez de toutes ces journées passées à faire la liste des millions de raisons qui auraient pu pousser Romain à me quitter. J'ai besoin de savoir, de comprendre. Je veux la voir, cette chipie qui me l'a volé. Pourquoi tout cela? Je l'ignore moi-même. Un coup de tête, peut-être. Néanmoins, je me trouve présentement là-même où je n'aurais jamais cru poser les pieds : Paris... Et je suis complètement perdue et seule...